ÉDITORIAL
DAVID CRONENBERG
SOUS LE MANTEAU DE LA RENOMMÉE
Pour le lecteur fidèle à notre revue, le sommaire de ce numéro peut surprendre. En effet, avec autant d’articles consacrés à un cinéma plus grand public, Hors-Champ élargit son domaine d’étude dans une volonté d’ouverture visant à diversifier les thèmes et les approches.
Ainsi, s’intéresse-t-on dans notre dossier à un cinéaste qui, bien qu’il ait débuté par des courts métrages « expérimentaux », n’en a pas moins fait ses armes dans le film de genre à la fin des années soixante-dix, pour ensuite s’imposer avec des films comme Faux Semblants (1998) ou Le Festin nu (1990). Grâce à l’univers personnel qui traverse ses films, il est devenu un des auteurs importants de la fin du XX siècle. Ses œuvres, reflets anamorphosés d’angoisses profondément liées aux dérives scientifiques et à l’aliénation médiatique contemporaines, ont d’ailleurs toujours été, lorsqu’elles n’étaient pas proprement visionnaires, particulièrement en phase avec leur époque. La cohérence de cette « vision » ayant permis à Cronenberg d’asseoir son statut d’auteur, le dossier que nous lui consacrons entend interroger, à travers la réception de ses films dans certaines revues françaises, la constitution de ce statut ainsi que les fondements de cette cohérence. De manière plus générale, il s’agit aussi de questionner la place de l’« auteur » au sein de l’industrie cinématographique. Cronenberg joue en effet sur la position particulière qui est la sienne dans le système en remettant en cause, au fil de sa filmographie, les codes des genres qu’il pratique. Nous envisageons le corpus constitué par ses films par le biais de différentes démarches : en remontant à ses premiers courts métrages moins connus, ce qui permet de constater certaines préfigurations thématiques ; en concevant son œuvre de façon globale dans les spécificités de son matérialisme fondamental ; en confrontant le devenir de textes littéraires dans leur adaptation (notamment Crash de James G. Ballard) afin d’en saisir les particularités ; en examinant comment la métaphore constitue l’assise formelle et sémantique de tous ses films. Ce dernier point, essentiel pour comprendre le travail de Cronenberg comme pour interpréter ses films, traverse inévitablement les autres articles. Ainsi esquisse-t-on également une approche de la métaphore au cinéma.
Ce numéro de Hors-Champ offre hors-dossier une palette d’études qui se singularisent par le regard porté sur les films : on s’intéresse par exemple au comique bien particulier des Monty Python dans Sacré Graal en convoquant les théories linguistiques de l’énonciation; à ce « désir de la femme » chez Woody Allen qui est bien plus le désir de l’homme envers la femme-objet qu’un désir proprement féminin; au travail de compositeur de musiques de film, figure souvent mésestimée mais néanmoins capitale, notamment au sein du travail collectif que supposent les productions hollywoodiennes. On aborde aussi la sphère des médias avec une analyse de l’émission TV Popstars qui permet de l’inscrire dans la filiation d’une réflexion sociale marxiste sur la culture de masse contemporaine. On ne délaisse cependant pas totalement le cinéma expérimental puisqu’un article traite de l’œuvre de Werner Nekes. Les films de ce dernier entreprennent une véritable archéologie du mouvement, nous rappelant qu’en deçà du plan, il y a le photogramme. Se confronter à la réflexion complexe de ce cinéaste, c’est questionner l’essence et la spécificité du cinématographe.
La rédaction
Sommaire
3 Éditorial
CINÉMAS
4 Considérations sur le travail du compositeur à Hollywood
Analyse – François Perriraz
10 Les Monthy Python, le comique et l’énonciation
Analyse – Alain Freudiger
DOSSIER : DAVID CRONENBERG
16 En face avec le monde contemporain
Introduction – Alain Boillat
19 Filmographie commentée
Alain Boillat
21 Notes sur l’« univers cronenbergien » par la lucarne de quelques courts métrages Lire l’article
Compte rendu – Alain Boillat
25 La métaphore vivante, pierre angulaire de la création chez Cronenberg
Analyse – Alain Boillat
32 Le corps et rien d’autre
Analyse – Laurence Rohrbach
35 Double Crash. La disparition de Liz Taylor
Analyse – André Chaperon
38 Réception de Cronenberg en France
Compte rendu – Alain Boillat et Philippe Ney
CINÉASTES
44 Werner Nekes ou les enjeux de la « Kiné »
Analyse – François Bovier
49 Fantasme de femme
Les films de Woody Allen: une représentation paradoxale du désir féminin
Analyse – Fatima-Zohra Benjelloun Touimi
HISTORIQUE
53 La Giornate del Cinema Muto 2001
Compte rendu – Pierre-Emmanuel Jaques
ÉTAT DES LIEUX
58 L’usine aux icônes
Notes sur Popstars, Siegfried Kracauer et son « ornement de la masse »
Regard – Laurent Guido