ÉDITORIAL
A rebours
Ce nouveau numéro de Hors-Champ se place sous le signe de la diversité. La variété des sujets s’explique par l’augmentation des contributions et par l’enthousiasme de collaborateurs dont le nombre ne cesse de croître. En outre, nous voyons avec satisfaction nos liens avec la section de cinéma de l’Université de Zürich renforcés puisque nous accueillons pour la deuxième fois dans nos colonnes l’article d’un de ses membres (pp. 38-41). A croire que notre revue, en offrant un espace de publication, stimule les esprits et éveille les vocations.
Une fois de plus, Hors-Champ va intentionnellement à contre-courant de l’actualité et des idées reçues.
Tout d’abord, il convenait de s’inscrire en faux contre le discours pessimiste de la presse spécialisée, déclarant le cinéma de Hong Kong moribond. Le dossier qui lui est consacré démontre que ce cinéma fait preuve d’un grand dynamisme malgré les difficultés économiques qu’il connaît. Il était donc nécessaire de nuancer des déclarations à l’emporte-pièce et de prendre de la distance par rapport au discours exalté de certains experts (pp. 26-63).
De même, il fallait que l’on revienne à Matrix, ne serait-ce que parce qu’il emprunte beaucoup à l’esthétique et à la démarche des films «made in Hong Kong». De plus, il perpétue le modèle d’un certain type de films, ceux qui se nourrissent de ce qu’ils condamnent, suscitant la fascination inconsciente du public par la mise en scène de leur contradiction (pp. 22-25).
Ensuite, alors que l’ensemble de la presse consacre de longs articles à !’œuvre de Stanley Kubrick et à son dernier film Eyes Wide Shut, nous avons décidé au contraire d’évoquer Killer’s Kiss, un des premiers films de Kubrick, celui dont on parle le moins, afin de dépasser les caractérisations sommaires que l’on peut lire à son sujet (pp. 64-67).
Pour mieux appréhender l’actualité, il faut parfois aussi privilégier le point de vue rétrospectif. Dans cette perspective, la programmation décalée des festivals se révèle très précieuse. En effet, les rétrospectives organisées par les «Visions du réel» à Nyon, ont fourni, une fois de plus, de passionnants sujets de recherche. L’œuvre avant-gardiste de Lisl Ponger, qui par ses images de voyage ou celles des autres («found-footage») explore le monde du cinéma, fut sans conteste une grande découverte de cette édition (pp. 15-21). De plus, la présentation de l’œuvre cinématographique de Robert Frank (pp. 4-9) a permis des rapprochements inattendus avec le cinéma de consommation courante. Ainsi, avoir vu son vrai-faux documentaire, C’est vrai (pp. 10-14), permet de placer The Blair Witch Project, film qui procède des mêmes astuces, dans une filiation qui s’enracine également au cœur du cinéma expérimental.
Quant aux films montrés au festival de Bologne, «Il cinema ritrovato», ils font désormais partie du patrimoine cinématographique et connaissent une diffusion confidentielle destinée à un public de spécialistes (pp. 73-78). Paradoxalement, ces films aujourd’hui sacralisés étaient souvent, à l’époque de leur production, des films «grand public» misant leur succès sur l’apparition de stars ainsi que sur une trame mélodramatique ou rocambolesque.
C’est précisément le cinéma populaire qu’aimaient les surréalistes, non pas le mélodrame bourgeois à l’honneur au festival de Bologne certes, mais plutôt le serial avec ses crimes ingénieux, ses courses-poursuites, ses intrigues à rebondissements. Alors que les cœurs des surréalistes étaient acquis au cinéma de consommation, leurs films, au contraire, se situaient dans un hors-champ expérimental et subversif à l’écart de toute visée commerciale. Il importe donc de distinguer le cinéma surréaliste, quasiment inexistant, et le cinéma des surréalistes, ce cinéma populaire maintenant confiné dans les cinémathèques et les festivals spécialisés (pp. 68-72). Ironie de la situation, les réflexions de Desnos et de ses amis sur la parenté entre le film et le rêve se retrouvent à nouveau thématisées dans des films commerciaux bourrés d’effets spéciaux. Le cinéma des surréalistes aujourd’hui, c’est Matrix et les films de kung-fu.
La rédaction
Sommaire
2 Éditorial
CINÉASTES
4 L’autoportrait chez Robert Frank
Analyse – Mireille Berton
10 Robert Frank, un vrai cinéaste
Analyse – Elena Hill
15 Lisl Ponger : voyage dans la réalité de l’illusion cinématographique
Analyse – Antoine Cattin
FILM
22 Matrix, un métafilm
Critique – Marie-Aline Hornung
DOSSIER HONG KONG
26 Le Hors-Champ de Hong Kong
Introduction – Laurent Guido
28 Maxu Weibang sorti de l’ombre
Monographie – Philippe Ney
32 Le corps exp(l)osé : les comédies slapstick de John Woo Lire l’article
Analyse – Laurent Guido
38 L’après-rétrocession et le mythe de la crise
Enquête – Till Brockman
42 « Far East Film 99 ». Un état des lieux du cinéma populaire
Compte rendu – Laurent Guido
45 Milkyway Image :Johnnie s’en va-t-en guerre
Enquête – Stéphane Gobbo
47 Entretien avec Johnnie To
Interview – Stéphane Gobbo
48 La voix des anges : notes sur la voix off dans Fallen Angels de Wong Kar-wai
Analyse – Alain Boillat
54 Vertiges du montage : analyse d’une séquence de The Killer de John Woo
Analyse – David Moretto
HISTORIQUE
64 Le détail dans le Killer’s Kiss de Stanley Kubrik
Analyse – Carmen Crisan
68 Surréalisme et cinéma
Analyse – Mireille Berton
73 Il cinema ritrovato, Bologne 99
Compte rendu – Pierre-Emmanuel Jaques